En privant l’entreprise chinoise de sa technologie, c’est toute la planète que Google entraîne dans la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis.
Le vent qui soufflait depuis quelques semaines sur Huawei s’est transformé en tempête. Lancée par Donald Trump et son administration, la bataille était déjà féroce mais circonscrite à un domaine primordial qui, pour l’instant, ne touchait pas directement les usagers, à quelques rares exceptions près : le déploiement de la 5G.
Accusé d’être un cheval de Troie au service du renseignement du gouvernement chinois, qui a fortement soutenu son développement, Huawei s’était ainsi vu barrer l’accès au marché américain de la 5G, avant que les États-Unis ne tentent de convaincre leurs alliés de faire de même –l’Australie et la Nouvelle-Zélande, toutes deux membres des Five Eyes, ne se sont pas fait prier longtemps.
Les choses ont pris un nouveau tournant ce week-end : désormais le monde entier pourrait être impacté. Poussant le curseur plus loin encore, le président américain a signé le 15 mai une ordonnance interdisant les transferts technologiques entre les entreprises américaines et toute firme étrangère considérée comme à risque –le texte ne visait nommément ni la Chine ni Huawei, mais son esprit le faisait assurément.
Le 19 avril, Reuters nous apprenait que Google, sans tarder, avait décidé de se plier à l’ordonnance. Coup de tonnerre : le géant américain déclarait couper ses liens commerciaux et technologiques avec Huawei.
Ces liens sont évidemment nombreux, à commencer par la licence Android : celle-ci a été révoquée et, avec toute nouvelle version ou mise à jour de son système d’exploitation, Huawei perd l’accès aux services et applications Google (Gmail, YouTube, Chrome) ainsi qu’au store Google Play. Seuls les logiciels en open source restent exploitables.
Tache d’huile
C’est désastreux pour Huawei, mais également pour sa clientèle : les propriétaires d’un smartphone de la marque chinoise –ou de sa filiale Honor– pourraient être impactés lors de futures mises à jour.
Celles et ceux qui lorgneraient sur l’acquisition prochaine de l’un de ces appareils peuvent en revanche s’attendre à le voir amputé des produits Google non open source. Ce qui change terriblement la donne et pourrait, dans un marché hautement concurrentiel, porter un coup majeur au développement de Huawei –45,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018, en hausse de 45% par rapport à l’année précédente.
Mais surtout, la décision de Google semble n’avoir été que le coup d’envoi d’une série d’uppercuts technologiques. À la suite de la firme de Mountain View, d’autres géants américains ont décidé de ne prendre aucun risque juridique en mettant eux aussi fin à leurs liens avec Huawei.
Intel, qui fournissait à l’entreprise chinoise des processeurs pour ses serveurs et ordinateurs portables, Qualcomm et Broadcom ont ainsi suivi le mouvement, aggravant les difficultés à venir de Huawei qui pourra tout de même compter sur les puces de sa propre division, HiSilicon.
Double tranchant
Ce qui était jusqu’ici une guerre tiède, menée notamment à coups de taxes douanières, a donc pris quelques centaines de degrés en une poignée de jours pour devenir incandescente. Cette interdiction des transferts technologiques entre les États-Unis et la Chine est un levier puissant pour Donald Trump dans ses négociations commerciales avec le gouvernement de Xi Jinping.
Mais, comme le note TechRadar, c’est une arme à double tranchant. Les sociétés visées par la liste noire ne seront pas les seules victimes de cette nouvelle barrière : leurs fournisseurs américains perdent également, par la même occasion, de très importants clients.
La guerre commerciale est aussi une mauvaise nouvelle pour la clientèle américaine : comme celui de centaines d’autres produits de consommation courante, le prix des iPhone pourrait augmenter, mettant Apple en difficulté.
Le bannissement de Huawei du marché américain de la 5G, sur des bases incertaines, risque par ailleurs de pousser les États-Unis à se tourner vers d’autres spécialistes, Nokia ou Ericsson, qui ne sont pas plus américains, et dont les solutions sont beaucoup plus dispendieuses.
Plus grave peut-être: dans une tribune publiée par Fast Company, le fondateur du MIT Media Lab Nicholas Negroponte a expliqué début mai que la fermeture voulue par l’administration Trump, contre l’avis de ses propres services de sécurité, revient à se couper d’une source importante de recherche, d’innovation et de financement.
Donc, potentiellement, à se mettre à la traîne du reste du monde –ce n’est sans doute pas ce que Donald Trump avait en tête en bombant ainsi le torse face à la Chine.
Slate fr