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Greffe d’utérus et GPA, deux poids, deux mesures

L’une fait polémique, l’autre est célébrée comme une prouesse médicale. Les deux techniques partagent pourtant un même but : rendre la maternité accessible aux femmes sans utérus fonctionnel.

Le 11 avril 2019, l’hôpital Foch de Suresnes a annoncé une première en France: une greffe d’utérus a eu lieu le 31 mars dans son enceinte, chez une femme de 34 ans née sans cet organe, souffrant d’une pathologie congénitale appelée syndrome de Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser (MRKH).

Réalisée à partir du don d’utérus effectué par la mère de la receveuse, âgée de 57 ans, la greffe permettra à la patiente de procréer et d’avoir un enfant génétiquement lié à elle. Contrairement aux greffes d’autres organes, la transplantation d’utérus n’est que temporaire, ce dernier étant retiré à la naissance de l’enfant.

Double standard

La première naissance rendue possible grâce à l’utilisation de cette technique a eu lieu en Suède en 2013. Fin 2017, un enfant naissait à la suite d’une greffe d’utérus aux États-Unis ; en 2018, ce fut au tour de l’Italie. À la fin de l’année dernière, le procédé a été utilisé avec succès au Brésil, l’utérus provenant cette fois d’une donneuse décédée.

Bien que le nombre d’enfants nés après une transplantation d’utérus croît chaque année, la technique reste encore très expérimentale, comme a tenu à le rappeler l’Académie de médecine après l’annonce de l’hôpital Foch: «La transplantation utérine […] ne sera pas une chirurgie classique avant de nombreuses années et demeure un processus expérimental.»

Cette première transplantation est indéniablement une bonne nouvelle pour les femmes françaises souffrant du syndrome MRKH et désirant avoir un enfant. On peut toutefois s’interroger sur la cohérence de l’autorisation de greffes d’utérus en France, face à un droit français qui interdit par ailleurs strictement la gestation pour autrui (GPA).

Alors que d’innombrables articles et livres dénonçant fermement la GPA ont été écrits, alors que de nombreuses manifestations ont été organisées à son encontre et alors que les grandes villes françaises sont régulièrement recouvertes d’autocollants et d’affiches n’appelant rien de moins qu’à son «abolition universelle», la première greffe d’utérus française a été annoncée sans déclencher le moindre sursaut d’opposition.

La comparaison entre les deux techniques n’est pas anodine, puisque comme la transplantation d’utérus, la GPA permet aux femmes n’ayant pas d’utérus fonctionnel d’avoir un enfant génétiquement lié à elles.

Bien que les deux pratiques diffèrent dans leur nature, la greffe d’utérus impliquant que la grossesse soit prise en charge par la mère elle-même et non une tierce personne, un certain nombre de caractéristiques-clés permettent de les mettre en parallèle.

La technique de greffe d’utérus soulève-t-elle réellement moins d’enjeux éthiques que la GPA ? En 2018, les chercheuses Lisa Guntram et Nicola Jane Williams ont publié une étude dans la revue Bioethics s’attardant sur cette question. Les autrices reviennent sur les principaux arguments utilisés pour justifier l’interdiction de la GPA, afin d’évaluer si chacun d’entre eux ne pourrait pas tout aussi bien s’appliquer à la greffe d’utérus.

Autonomie menacée

L’un de ces arguments est que la technique risque de contraindre des femmes à porter des enfants pour autrui. La contrainte financière est souvent brandie, les adversaires de la GPA avançant que les femmes pauvres seront conduites à porter pour des couples riches.

Quid de la GPA altruiste, où la femme porteuse n’est pas rémunérée pour son service ? Le risque de contrainte persiste, puisque dans le cas où le couple et la femme porteuse ne se connaissent pas, un paiement caché risque d’avoir lieu.

«Dans le cadre de greffes d’utérus, les personnes peuvent aussi ressentir une pression interne à donner.»

Nicolas Jane Williams, chercheuse spécialisée en bioéthique

Si la femme porteuse et le couple sont proches, le risque est plutôt celui d’une contrainte émotionnelle : la femme connaissant l’immense détresse du couple infertile, elle peut être poussée à consentir à une GPA malgré ses réticences.

Qu’en est-il alors de la greffe d’utérus ? Dans les cas de greffe avec donneuse vivante, les mêmes risques sont susceptibles d’émerger. Comme l’explique Nicola Jane Williams, «les dons de personnes vivantes dans le cadre de greffes d’utérus risquent de voir des donneuses contraintes ou manipulées à donner par ceux qui ont intérêt à ce qu’elles donnent, et elles peuvent aussi ressentir une pression interne à donner, même en l’absence d’actes coercitifs ou manipulateurs».

Les personnes hostiles à la GPA soutiennent que la légalisation de la technique même dans un but uniquement altruiste resterait inacceptable: outre les pressions et échanges d’argent dissimulés, cela risquerait de normaliser la pratique. Une telle normalisation pousserait les couples ne trouvant pas de femme porteuse à faire appel au marché noir ou à se rendre à l’étranger, où le recours au procédé serait moins bien encadré.

La greffe d’utérus n’est pas non plus exemptée de tels risques, avec la possible naissance d’un marché noir d’utérus et de voyages dans des pays où les risques d’exploitation sont accrus.

Risques médicaux

Par ailleurs, les activistes anti-GPA pointent régulièrement les conséquences inacceptables auxquelles la femme porteuse s’expose pour le seul bénéfice du couple, tant au niveau physique que psychologique. Selon ces militant·es, une femme ne pourrait consentir librement à prendre tant de risques.

Une fois encore, la comparaison avec la greffe d’utérus est révélatrice. Là où la GPA n’apparaît pas plus dangereuse qu’une grossesse classique, la donneuse d’utérus doit subir une hystérectomie, une opération chirurgicale extrêmement lourde et longue (six à sept heures à l’hôpital Foch).

Concernant les risques psychologiques, la littérature scientifique concernant la GPA est rassurante, avec une grande majorité des femmes porteuses rapportant être satisfaites de l’expérience.

Les études concernant les donneuses d’utérus sont quant à elles inexistantes pour le moment, et l’on craint des sensations de perte d’identité de genre ou de dysfonctionnements sexuels chez les donneuses.

Les travaux de recherche menés sur les dons d’organe montrent qu’un tel don peut créer chez le donneur ou la donneuse des sentiments de culpabilité et de responsabilité, en particulier dans les cas où la greffe ne fonctionne pas ou entraîne des complications médicales.

Bien-être des enfants

La nocivité supposée de la GPA pour les enfants est un autre argument majeur avancé par ses adversaires. Concernant les risques physiques, ils ne sont pas plus importants dans ce cadre que dans celui d’une grossesse classique.

Pour les risques psychologiques, bien que les études soient encore peu nombreuses, la recherche tend à montrer que l’inquiétude n’est pas empiriquement fondée.

«Alors que la GPA est une pratique bien établie, la greffe d’utérus ne l’est pas, et il y a donc encore moins de preuves disponibles

Lisa Guntram, chercheuse spécialisée en bioéthique

Les enfants nés par GPA ne semblent pas développer plus de troubles psychologiques que les enfants nés naturellement, et ils semblent bien capables de comprendre leurs origines sans que cela ne les trouble.

Qu’en est-il de la greffe d’utérus ? Comme le rappelle la chercheuse Lisa Guntram, «alors que la GPA est une pratique bien établie, la greffe d’utérus ne l’est pas, et il y a donc encore moins de preuves disponibles pour soutenir ou nier l’affirmation qu’elle est incompatible avec les intérêts des enfants».

Quelques inquiétudes ont été soulevées, notamment en matière de risques physiques pour les enfants nés à la suite d’une transplantation d’utérus : «La littérature médicale suggère que porter un fœtus dans un utérus transplanté pose plusieurs risques pour l’enfant en développement, notamment un potentiel flux sanguin utérin compromis et son effet sur le fœtus, des anomalies rénales maternelles associées à quelques-uns des problèmes qui surviennent lorsque l’utérus est absent ou mal formé, ce qui peut accroître le risque de prééclampsie et d’hypertension, et des potentiels effets tératogènes dus à l’exposition à des immunosuppresseurs.»

Vision traditionnelle

En fin de compte, il est loin d’être évident que la greffe d’utérus soit une technique bien plus éthiquement défendable que la GPA : les principaux arguments avancés contre la GPA peuvent tout aussi bien être appliqués à la greffe d’utérus.

Là où la GPA est une technique d’assistance médicale à la procréation utilisée depuis près de quarante ans, qui dispose d’une littérature scientifique grandissante et rassurante quant au bien-être des femmes porteuses et des enfants, la greffe d’utérus reste en 2019 une technique extrêmement récente et expérimentale, par rapport à laquelle différentes inquiétudes concernant les donneuses et les enfants persistent.

À ce titre, comment expliquer la différence flagrante dans la manière dont ces deux techniques sont accueillies en France ? Comment expliquer que malgré des problèmes éthiques très similaires, l’une ait débuté en France sans l’ombre d’un débat alors qu’elle est encore extrêmement expérimentale, tandis que l’autre persiste à être entièrement prohibée sans perspective de légalisation ?

Bien plus que les problèmes soulevés en matière de bien-être des femmes porteuses ou des enfants, si la GPA dérange tant, c’est qu’elle remet en cause une certaine vision de la maternité. Que la gestation soit externe aux parents, qu’elle soit prise en charge par une tierce femme plutôt que par la mère elle-même, qu’une femme puisse porter un enfant qui n’est pas le sien : ce sont ces éléments qui dérangent profondément les personnes hostiles à la GPA.

Les différentes visions du bien peuvent parfaitement s’exprimer dans la société civile, mais ces dernières ne devraient pas pouvoir influer le droit. Les tenants (es) d’une conception traditionnelle de la reproduction ne devraient pas pouvoir imposer celle-ci au reste de la population française via la loi.

Les inquiétudes soulevées par la GPA et la greffe d’utérus étant similaires, si on juge que celles concernant la greffe d’utérus ne légitiment pas une interdiction face aux bénéfices que la technique apporte dans la lutte contre l’infertilité, si on juge par ailleurs qu’il s’agit d’encadrer la pratique pour en minimiser les risques, alors la cohérence exige d’en faire de même avec la GPA.

La tolérance par le droit français de la greffe d’utérus sans rémunération de la donneuse suppose de tolérer de la même manière la gestation pour autrui sans rémunération des femmes porteuses. Les personnes contrariées dans leur vision du monde par la GPA pourront continuer à exprimer publiquement leur désaccord, mais elles ne pourront pas continuer à s’appuyer sur le droit pour tordre le bras de leurs compatriotes.

Slate fr

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