Obligées de faire des choix,
plusieurs associations alertent des conséquences sur les actions de prévention
et certaines populations.
Fin novembre
2018, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, annonçait le
remboursement partiel des préservatifs masculins Eden, des laboratoires Majorelle. Délivrés sur ordonnance, ces préservatifs sont pris
en charge par l’assurance maladie à 60% du coût. Depuis mars dernier, une
seconde marque, Sortez Couverts, est elle aussi remboursable sur prescription
médicale.
L’initiative
gouvernementale insistait, dans un communiqué, sur les «6.000 nouveaux cas de
séropositivité découverts chaque année». Le communiqué précisait que
«cette mesure ne se substitue aucunement à la mise à disposition de
préservatifs gratuits par les pouvoirs publics (plus de cinq millions de
préservatifs). L’accès large sur le territoire et au plus près des publics clés
reste un impératif».
Cet été, le
Planning familial soulève pourtant une inquiétude. Il commence à s’alarmer d’un
début de pénurie de préservatifs gratuits dans certains départements. Une
préoccupation que l’association souhaite partager, notamment à travers une
plateforme d’appels à témoignages, afin d’évaluer l’ampleur de la problématique
sur les territoires.
Nommée Capotes on est à sec ! et accompagnée du hashtag #niquesanspanique, la plateforme souhaite recueillir des paroles
d’associations, mais également du secteur professionnel (infirmerie scolaire,
travail social) et de bénéficiaires, qui ne trouveraient plus cet outil de
prévention gratuitement.
«L’idée est de rassembler un maximum de témoignages et de les faire
remonter aux politiques. On ne lâchera pas là-dessus», assène Sarah
Durocher, membre du bureau national du Planning familial.
Les
préservatifs sont archi chers donc difficiles d’accès pour les jeunes, et là
les dotations au planning familial en préservatifs gratuits diminuent
drastiquement, un scandale #niquesanspanique
— Six of One
(@citizensixofone) 15 juin 2019
La distribution
verticale des préservatifs gratuits diffère d’une région à une autre. Elle
comprend des pochettes dites préservatifs duo standards et préservatifs duo XL,
avec préservatifs masculins et dosette de gel, des préservatifs féminins et des
préservatifs en vrac tailles standard et XL.
Médicaliser la sexualité
Santé Publique
France, établissement public sous la tutelle du ministère de la Santé,
distribue chaque année environ cinq millions de préservatifs masculins et
360.000 préservatifs féminins à l’Agence régionale de santé (ARS) pour un
budget annuel de 850.000 euros, selon les chiffres de Santé Publique France. À
noter que l’institution diffuse ces matériels de prévention «au titre de la prévention du VIH et autres IST».
C’est ensuite l’ARS elle-même qui va parfois
dispatcher ces préservatifs aux acteurs locaux (plannings familiaux et autres
associations). Dans certaines régions, l’ARS délègue cette distribution aux
Instances régionales de l’éducation et de promotion de la santé (IREPS).
Sarah Durocher
observe «une baisse assez régulière de préservatifs gratuits. Ce sont
d’abord des plus petites associations souvent de lutte contre le sida, qui nous
ont interpellées. Elles avaient de moins en moins accès à ces préservatifs
gratuits…».
Un problème qui
semble surtout s’installer en région, moins palpable à Paris, où l’association Paris sans sida effectue un important travail de prévention,
conjointement avec la municipalité.
Si le Planning
familial s’est montré très prudent à l’annonce des préservatifs remboursés, «re-médicaliser la sexualité, on sait bien que ça ne fonctionne pas
!», appuie Sarah Durocher, il s’alarme aujourd’hui d’une possible
corrélation entre cette nouvelle mesure et la baisse de dotations des
préservatifs gratuits.
Des choix insupportables
En
Auvergne-Rhône Alpes, cet amaigrissement du chiffre de préservatifs gratuits
affole les associations. Véronique Dalemans, coordinatrice régionale du
Planning, interpelle sur la ruralité de la région et les dégâts qu’une pénurie
pourrait engendrer : «Il ne faut pas oublier que c’est un territoire
rural, composé à 80% de montagnes. En dehors des villes, les gens ont très peu
accès à des distributeurs ou des lieux qui ont des préservatifs. Il y a un
défaut de mobilité…Si nous ne pouvons plus en distribuer, que se passera-t-il?»
Une baisse qui, de plus, se confronte à une demande en hausse.
Dans cette
région, le Planning familial est présent dans neuf départements sur douze, soit
une quarantaine de lieux. Ce qui représente 160.000 personnes, dont environ
45.000 scolaires. «Alors forcément, on distribue beaucoup. Et on
ne cesse d’alerter tout le monde sur cette baisse.» D’autant que sur
ces neuf lieux, «trois sont juste des établissements
d’information, donc dépendant du gratuit. Les autres, qui sont des centres de
planification, sont gérés par le département, qui va donc financer, en partie,
les contraceptifs».
Les chiffres,
eux, sont sans appel. En Isère, la dotation a été divisée par deux, passant de
30.000 à 15.000. Cécile Bruzzese, conseillère conjugale au Planning de Clermont
Ferrand, indique avoir reçu 3.000 préservatifs, contre 15.000 auparavant. Pour
une prochaine demande en…2020. «On sera donc dans l’obligation
d’en acheter nous-mêmes, de mettre ça dans notre dossier de financement. Or en
parallèle, nos subventions sont en baisse…»
«Des enseignants de SVT ne peuvent
plus faire leur action de prévention faute de préservatifs.»
Sonia*
Alors certaines
associations font des choix, insupportables pour elles et leurs missions de
prévention : «Il y a des plannings familiaux qui ne
distribuent plus aux scolaires lors des interventions...»
Un paradoxe qui
agace Sarah Durocher. «On ne peut pas faire des campagnes de
prévention et en même temps ne pas distribuer de préservatifs dans les lieux de
prévention ! On va être obligé d’empiéter sur un budget déjà fragile… Peut-être
peut-on envisager une mobilisation collective des associations?»
En attendant,
la récente plateforme, ouverte depuis le 14 juin, accueille les premiers
inquiets. Ainsi, Aurélien*, bénévole au Planning familial de Tours, indique
qu’«il est difficile de prévoir des animations sur la réduction des
risques, car nous devons limiter le stock de préservatifs à cause d’un gros
manque».
Annaëlle*,
infirmière scolaire dans la région nantaise, indique ne pas avoir reçu son
habituelle commande du 1er décembre
(journée mondiale de lutte contre le VIH). «La demande des élèves était
très présente et je n’ai pu y répondre, cela m’a mise en difficulté.»
Tout comme sa
collègue Sonia*, qui confie à la plateforme son désarroi face à «des enseignants de SVT qui ne peuvent plus faire leur action de
prévention faute de préservatifs. L’ARS n’en donne plus !»
Laurine*, quant
à elle, explique que sa situation économique ne lui permet plus d’en acheter et
s’inquiète «de devoir un jour renoncer à ces outils, à mes droits en santé
sexuelle».
Dans un Point
accueil et d’écoute jeunes (PAEJ) de la région Occitanie, qui reçoit beaucoup
de jeunes en situation précaire, Elisabeth* s’insurge de la réponse de l’ARS,
qui lui dit d’attendre 2020 pour la prochaine commande. «Je suis en colère car mon association n’a pas les moyens d’en
acheter. On a l’impression que bientôt les jeunes auront un carnet de dix
tickets par mois pour aller chercher leurs capotes !»
«La responsabilité est bien au
fournisseur, c’est-à-dire l’État, via Santé Publique France.»
Léo Calzetta, coordinateur du CRIPS Alors quels sont
les critères de Santé Publique France en matière de répartition ? Léo Calzetta,
coordinateur du Centre régional d’information et de prévention du sida et pour
la santé des jeunes (CRIPS) de l’IREPS Auvergne-Rhône Alpes, qui s’occupe de la
distribution sur ce territoire, indique que trois critères sont pris en compte
pour l’arbitrage des dotations régionales : la démographie, le taux de découvertes
VIH dans la région et les volumes commandés en 2016 et 2017.
La région
Auvergne-Rhône Alpes reçoit ainsi 425.000 préservatifs, dont 318.000 duos et
107.000 en vrac. Un chiffre pas si conséquent «quand vous voyez la superficie
de la région et les demandes» souligne Cécile Bruzzese.
«Au final, l’ARS a une marge de manœuvre assez limitée,
résume Léo Calzetta. La responsabilité est bien au fournisseur,
c’est-à-dire l’État, via Santé Publique France. C’est effectivement une
situation délicate. L’IREPS, qui distribue sur la région Auvergne-Rhône Alpes,
est le dernier arbitrage. Donc quand nous établissons un refus, ce n’est jamais
de gaieté de cœur.»
Dans la région Grand Est aussi, le problème commence à
se faire sentir. Ici, l’ARS a fait le choix de co-gérer la distribution avec la
Coordination régionale de lutte contre le VIH (COREVIH).
Anne Misbach,
coordinatrice COREVIH, insiste sur la nécessité d’avoir «une politique volontariste. Si on s’en tient seulement à la
dotation de Santé Publique France, on ne peut pas couvrir nos besoins à
l’année. Alors la COREVIH finance le surplus nécessaire, avec l’accord de l’ARS».
La région,
grande comme deux fois la Belgique, reçoit environ 100.000 préservatifs, dont
35.000 en vrac. «On a fourni les prides, avec 15.000
préservatifs. On voit donc bien que ce chiffre n’est pas suffisant. On finit
alors par mettre en place des critères d’arbitrage, donc d’exclusion.»
Un contresens total pour cette professionnelle. «On nous demande de continuer à
faire la promotion des capotes mais à côté de ça la dotation de l’État est
insuffisante !»
Les jeunes, mis de côté
Au-delà de ces
inquiétudes de chiffres, un questionnement lié au facteur humain se profile.
Auparavant, ces dotations de préservatifs gratuits par Santé Publique France
étaient à destination de deux publics principaux. Les publics dits
«vulnérables», migrants, travailleurs et travailleuses du sexe, détenus,
consommateurs de drogues, et le public «jeune», notamment en lien avec le
premier rapport sexuel. Or, Santé Publique France paraît avoir recentré sur les
publics vulnérables.
«Il semblerait que le public
jeune soit passé à la trappe !», remarque Cécile Bruzzese, du
Planning de Clermont Ferrand. Un second objectif qui aurait disparu quasiment
en même temps que l’arrivée du préservatif remboursé, notent les professionnels
(les).
Contactée,
Santé Publique France assure que «les objectifs n’ont pas été
modifiés. Il s’agit bien de promouvoir l’utilisation du préservatif auprès des
jeunes et d’assurer son accès aux populations très exposées et/ou en grande
difficulté sociale».
En
revanche, l’Agence nationale de santé publique indique bien que «le budget annuel est réparti
entre les régions» mais que «cette répartition a été revue
en 2018 (la précédente datant de 2005).» Cette nouvelle
distribution régionale est-elle à l’origine de ce début de pénurie ? Nul doute
que les associations et les bénéficiaires sauront continuer à alerter.
* Les prénoms ont été changés.
Slate fr