Bien plus que chez
les hommes, les marques semblent autant attirées par le physique des joueuses
que par leurs performances.
Nike, Adidas,
Puma, Coca-Cola, Emirates ou encore Visa : ces marques sponsorisent des
athlètes pour des sommes astronomiques, s’élevant parfois à des dizaines de
millions d’euros.
Les grands
évènements sportifs internationaux comme les tournois du Grand Chelem ou les
Coupes du monde sont l’occasion rêvée pour les annonceurs d’accroître leur
visibilité et leurs ventes. Leurs campagnes de publicité sont d’ailleurs très
souvent incarnées par des sportifs ou sportives en compétition.
La
médiatisation joue un rôle majeur dans le sponsoring des athlètes : plus elle
est grande, plus les sponsors sont intéressés. Si le sport féminin a toujours
été moins largement diffusé que le sport masculin, il existe tout de même des
sportives sponsorisées. Leur physique jouerait-il ?
Le cas Alex Morgan
«Aujourd’hui, avant de
décider de sponsoriser un ou une athlète, les sponsors se fient à plusieurs
critères : les résultats sportifs, le parcours de vie, l’audience sur les
réseaux sociaux et bien sûr le physique. Lorsque vous êtes un annonceur dans le
textile, vous voulez que votre produit soit mis en avant de la meilleure des
manières. Les marques ne vous le diront pas explicitement car ce n’est pas
politiquement correct, mais c’est une évidence que le physique rentre en
compte», reconnaît Mathieu Poplimont, créateur du média Le Sport Business.
L’Américaine
Alex Morgan en est le parfait exemple : avec 6,8 millions d’abonnés (ées) sur Instagram
et 106 buts en sélection, l’attaquante est une star sur et en
dehors du terrain.
Footballeuse la mieux
payée au monde, elle devrait selon les estimations toucher plus d’un million
de dollars [environ 885.000 euros] en 2019, entre son salaire, ses
primes et ses contrats de sponsoring.
Si
des marques comme Nike, Panasonic, AT&T, McDonald’s et Coca-Cola se
l’arrachent, ce n’est pas seulement dû à ses performances sportives, mais aussi
à ce qu’elle incarne : entre red carpets,
campagnes de pub et prises de positions
contre sa fédération, elle jongle entre son image de mannequin, de
féministe et de sportive.
La footballeuse a même
fait partie du classement
des cent personnalités les plus influentes au monde dressé par le
Time Magazine en avril 2019.
Une certaine image
de la féminité
Le 7 juin dernier,
Catherine Louveau, sociologue spécialiste des questions de genre dans le milieu
sportif, dénonçait dans L’Obs
les injonctions données aux sportives : «On m’a ainsi rapporté que la
Fédération française de Football (FFF) incite les joueuses à se montrer “plus
féminines”. Il y a quelques années, la grande majorité des joueuses de l’équipe
de France de football avaient les cheveux courts, notamment pour des raisons
pratiques. Aujourd’hui, elles ont presque toutes les cheveux longs –elles sont
même parfois maquillées sur le terrain.»
Pourtant, parmi les
vingt-trois joueuses françaises sélectionnées, seules trois attirent réellement
l’attention des sponsors: Eugénie le Sommer (ambassadrice pour Puma),
Gaëtane Thiney (Adidas, Arkema,
Orange) et Amandine Henry, qui a notamment participé à la publicité Nike «Dream
Further», sortie juste avant le début de la Coupe du monde. En
France, à part ce trio, le sponsoring chez les footballeuses reste marginal.
«Ce sont trois joueuses qui
sont performantes sur le terrain, des taulières, et ce sont aussi de belles
femmes. Il y a beaucoup d’hypocrisie quand on commence à parler de physique,
alors qu’en off, tout le monde le sait. On le voit aussi pendant les interviews
des joueuses, elles n’arrêtent pas de dire qu’elles veulent garder une part de
féminité», relève
Mathieu Poplimont.
De fait, le sport est
un métier d’image, comme peuvent l’être le cinéma ou la télévision. Pendant
longtemps, les athlètes étaient seulement représentés (ées) dans des médias
spécialisés ; aujourd’hui, leur présence (publicitaire) est partout, des
réseaux sociaux aux campagnes d’affichage en passant par la télévision.
Bartoli,
l’anti-Kournikova
Dans le
sport féminin, l’image de la femme a tendance à être exploitée avant celle de
la championne. À la fin des années 1990, la joueuse de tennis Anna Kournikova a
affolé les sponsors grâce à son physique de mannequin.
«Les joueuses de tennis ont
souvent été considérées comme des femmes-objets ou comme des sex-symbols […]. À l’époque [de
Kournikova], c’est encore monté d’un
cran», note David Skilling,
attaché de presse et consultant marketing pour les athlètes pros, auprès de
CNN.
En 1999, la Russe
aurait gagné 10,25 millions de dollars rien qu’en contrats de
sponsoring. À titre de comparaison, la joueuse a touché 3,6 millions
dollars de gains en tournois de
1995 à 2003 –elle n’a jamais remporté un seul tournoi en individuel.
«La Russe recevait bien plus
d’attention et d’argent des sponsors que beaucoup d’autres joueuses qui étaient
pourtant meilleures qu’elles»,
souligne le journaliste
spécialisé Ben Rothenberg pour CNN. En somme, ce ne seraient pas
tant les performances sportives qui comptent que ce qu’incarne la sportive.
Bien
loin d’une Anna Kournikova, la tenniswoman française Marion Bartoli a quant à
elle longtemps été boudée par les sponsors. Son physique dit «atypique» pour
une sportive de haut niveau a souvent été critiqué: «Elle est grosse Marion Bartoli», «Tu ne seras
jamais un canon, tu ne seras jamais une Sharapova», «Marion Bartoli,
demi-finaliste de poids», les remarques sexistes ne manquaient pas.
En
2010, Marion Bartoli n’a décroché aucun contrat de
sponsoring pour ses tenues ; la joueuse était pourtant classée
onzième mondiale. «Peut-être que je ne suis pas
assez blonde, assez grande ou assez mince. Je suis onzième mondiale, mais je
vais acheter mes chaussures et mes tenues au magasin comme tout le monde»,
confiait-elle.
Au
creux de la vague
Le
tennis et le football ne sont pas les seuls sports touchés par cette
objectification du corps féminin. Dans le milieu du surf plus que dans toute
autre discipline, les athlètes féminines sont jugées sur leur physique plutôt
que sur leurs résultats sportifs.
Silvana Lima en est la
preuve : avant 2018, la Brésilienne n’avait jamais décroché
un seul contrat de sponsoring. Les différentes marques avaient jugé
le physique de la surfeuse, pourtant sacrée huit fois meilleure surfeuse
brésilienne et à deux reprises deuxième mondiale, pas assez gracieux à leur
goût.
La
sportive s’est exprimée à ce sujet en 2016, lors d’un entretien avec la BBC : «Je ne ressemble pas à un
mannequin, je ne suis pas une bonnasse. Je suis une surfeuse professionnelle.
Mais quand il s’agit des femmes, les marques de vêtements de surf veulent à la
fois des surfeuses et des mannequins. Donc si vous n’avez pas l’allure d’un top
model, vous finissez sans sponsor, c’est ce qui m’est arrivé. Vous êtes exclue,
à jeter. Les hommes n’ont pas ces problèmes.»
Une injustice d’autant
plus criante que les sponsors sont précieux pour les surfeuses : l’absence de
contrats peut les priver de compétition, les gains en championnat n’étant pas
assez conséquents pour financer leurs déplacements dans le monde entier.
Alors oui, il faut
être belle pour être sponsorisée –preuve que le sport n’est que le reflet de
notre société. «On est dans une époque où on
ne peut pas se mentir : on se juge tous au premier regard», admet
Mathieu Poplimont.
Slate
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