Mal connue du personnel soignant, cette pathologie
entraînant notamment des vomissements intenses est rarement diagnostiquée et
peut susciter un profond désarroi chez les patientes touchées.
«Chaque jour, c’était la même
chose. Je me levais, vomissais, prenais ma bassine et m’installais sur le
canapé en attendant le retour de mon mari», raconte Aude, 29 ans, aujourd’hui mère de deux enfants.
En
2016, alors qu’elle est enceinte de son premier bébé, les vomissements arrivent
très vite : «Jusqu’à vingt par jour,
accompagnés en permanence de nausées et d’une fatigue intense. C’était le
début, le fameux premier trimestre. Je me suis dit que ça passerait.» Ça
n’est pas passé. En tout, la jeune femme a perdu 15 kilos ; elle a été arrêtée
pendant presque toute sa grossesse.
Elsa,
30 ans et un bébé désormais âgé de 20 mois, pensait également que cet état
passerait après trois mois de grossesse : «En réalité, j’ai vomi du début
jusqu’au jour de l’accouchement. Les quatre premiers mois, je dormais 20 heures
par jour. Dès que je me levais, je vomissais, donc je restais allongée. J’ai
vomi partout où j’allais, dans la voiture, sur la bande d’arrêt d’urgence de
l’autoroute, le parking de la pharmacie, chez des amis…»
La doctorante en géographie, qui a dû mettre sa thèse sur pause tellement ses «capacités intellectuelles
étaient altérées», avait toujours dans son sac à main des
lingettes, une brosse à dents et un bain de bouche.
Souffrance minorée
Aude et Elsa ont été
touchées par l’hyperémèse gravidique, une forme clinique grave des nausées et
vomissements de la grossesse. Si ces derniers touchent de nombreuses femmes
enceintes (entre 50% et 90% selon
les études), seules 2% à 5%
seraient atteintes d’hyperémèse gravidique –à noter qu’il n’existe que peu
d’études françaises sur le sujet.
«Même s’il n’y pas encore de
définition consensuelle de la maladie, on peut en parler quand il y a des
vomissements incoercibles, des nausées persistantes, une intolérance
alimentaire, une perte de poids de 5% à 10 % par rapport au poids initial, une
déshydratation et un impact sur la qualité de vie. Elle se déclare en général
assez tôt, entre la quatrième et la huitième semaine d’aménorrhée, et peut
durer jusqu’à la fin de la grossesse ou bien s’arrêter avant», détaille Philippe Deruelle,
gynécologue-obstétricien au CHU de Strasbourg et secrétaire général du Collège
national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF).
«On m’a dit :
‘‘Estimez-vous heureuse, ça sera ça de moins à perdre.”», Elsa
Les causes pourraient
être de plusieurs ordres : hormonales (un taux de béta-hCG très élevé),
fonctionnelles (reflux gastro-œsophagien maternel) ou génétiques, comme le
suggère une récente étude
américaine. Selon la recherche scientifique, l’hyperémèse n’augmente
pas le risque de malformation fœtale, mais le risque d’avoir un enfant petit
et/ou avec un faible poids de naissance est plus grand.
En
France, cette maladie est mal connue du personnel soignant et les patientes
touchées sont mal prises en charge –quand elles le sont. «Les nausées et vomissements
étant considérés comme des petits maux de la grossesse, la sphère médicale a
tendance à répondre à ces femmes que c’est normal et que ça va passer. Il y a
une négligence sur la prise en charge de cette maladie», confirme
Philippe Deruelle.
L’entourage
aussi peut avoir tendance à minorer la souffrance ; il n’est pas rare que les
femmes concernées entendent : «Tout le monde vomit pendant la
grossesse ! »
«À l’échographie du deuxième
trimestre, mon bébé allait bien, donc tout allait bien ! On m’a dit, par
rapport au fait que je ne prenais pas de poids : ‘‘Estimez-vous heureuse, ça
sera ça de moins à perdre”», relate
Elsa, encore furieuse qu’on ne l’ait pas écoutée.
Hospitalisation à
l’isolement
Souvent, les médecins
imputent ces vomissements à une cause psychologique : les femmes ne voudraient
pas de leur grossesse et la rejetteraient physiquement en «vomissant leur bébé».
Comme
le note la sage-femme Anne-Sylvie Charles dans son mémoire «Hyperémèse gravidique : vécu des conditions d’hospitalisation», à la suite d’«une approche psychanalytique,
cette pathologie a été classée dans les névroses hystériques». «C’est en effet ce qu’on a
appris aux soignants depuis le début du XXe siècle,
donc ça reste encore ancré dans leur esprit aujourd’hui», déplore
Philippe Deruelle.
À l’époque, il était
recommandé d’hospitaliser les femmes à l’isolement –une pratique qui perdure de
nos jours dans certains hôpitaux.
«Mon mari n’a pas eu le droit de venir me voir pendant
plusieurs jours. On ne m’a jamais expliqué pourquoi.»
Audrey Texier
C’est ce qui est
arrivé à Audrey Texier lors de sa troisième grossesse, en 2017 : «Dix jours après une première
hospitalisation à deux mois et demi de grossesse, lors de laquelle on m’a
réhydratée, je suis retournée aux urgences parce que ça n’allait pas mieux. Je
vomissais jusqu’à cinquante fois par jour. J’avais perdu 12 kilos alors que je
ne suis pas en surpoids. J’étais tellement faible que je n’arrivais plus à
marcher. On m’a ré-hospitalisée à l’isolement. Mon mari n’a pas eu le droit de
venir me voir pendant plusieurs jours. On ne m’a jamais expliqué pourquoi,
j’étais dans un tel état que je n’ai pas eu la force de contester.»
En
2018, la jeune femme a cofondé l’Association de lutte
contre l’hyperémèse gravidique, dont elle est la présidente, pour
accompagner, écouter les femmes touchées et les diriger vers des médecins
connaissant la pathologie.
Comme elle, de
nombreuses femmes atteintes ne sont jamais diagnostiquées et découvrent
l’existence de cette maladie via des recherches sur internet, après ou pendant
une première grossesse. Certaines arrivent en consultation avec de la
documentation pour tenter de se faire prescrire un médicament qui les soulagera
; parfois, quand cela ne fonctionne pas, elles en prennent sans en parler à
leur médecin.
Audrey a acheté de la doxylamine (aussi connue sous le nom de Donormyl) , un
antihistaminique sédatif en vente libre, en le cachant à sa sage-femme : «Après avoir lu sur le Crat [le Centre de référence
des agents tératogènes, à destination des professionnels (les) de santé,
informe sur les risques des médicaments et vaccins pendant la grossesse et
l’allaitement, ndlr] qu’il était utilisé depuis
longtemps au Canada et aux États-Unis [où la maladie est davantage
documentée et mieux prise en charge, ndlr] et qu’il n’y avait pas de
risque pour le fœtus, j’ai décidé d’en prendre.»
France
Artzner, qui a cofondé une autre association de soutien aux femmes, 9 mois avec ma bassine
(qui était à l’origine un blog tenu
par une autre mère touchée), s’est quant à elle «débrouillée» pour
se faire prescrire de l’ondansétron (Zophren),
un antiémétique, puisque la fiche Crat de ce
médicament indique que les risques pour le fœtus, craints à un
moment, avaient été écartés.
Errance
diagnostique
«En France, ces deux
médicaments n’ont pas d’autorisation
de mise sur le marché pour la femme enceinte. Le premier est
autorisé pour le traitement des allergies et insomnies légères, le deuxième
pour les vomissements après une chimiothérapie. Les soignants n’ont donc pas le
droit de les prescrire à leurs patientes», regrette Philippe Deruelle.
Le
gynécologue-obstétricien travaille avec les deux associations à faire
reconnaître la maladie, notamment en tentant de faire étendre les indications
de ces médicaments aux autorités de santé et en proposant un protocole de prise
en charge généralisé à l’ensemble du personnel soignant.
Il préconise d’«arrêter de prescrire du
Vogalène et du Primpéran, inefficaces dans la majorité des cas face à cette
maladie, [de] cesser l’hospitalisation à
l’isolement, qui ne fait que renforcer le mal-être des patientes. Et surtout, [d’]
être à l’écoute ! »
«Neuf mois à vomir, à ne plus
pouvoir sortir, à stresser pour la santé de son bébé, à avoir peur pour votre
carrière professionnelle, à ne plus pouvoir rien faire tellement vous êtes mal,
plus parfois un entourage médical et personnel qui minimise et vous dit que
vous vous écoutez trop peuvent conduire à la dépression», s’attriste France Artzner.
«À ce manque
d’écoute et de soutien peut s’ajouter une culpabilité de ne pas pouvoir s’investir
dans leur grossesse.»
Luisa Attali, psychologue
«Finalement, les problèmes
psychologiques ne sont en général pas la cause mais bien la conséquence de
l’hyperémèse », résume
Luisa Attali, psychologue au pôle gynécologie-obstétrique du CHU de Strasbourg
et chercheuse associée à Paris 7.
«Les femmes sont souvent
stigmatisées,
continue-t-elle. Elles font face à une errance
diagnostique qui rappelle l’endométriose. À ce manque d’écoute et de soutien
peut s’ajouter pour certaines une grande culpabilité de ne pas pouvoir
s’investir dans leur grossesse, puisqu’elles vivent au jour le jour, sont
centrées sur leur propre corps et leur douleur, sans parvenir à se projeter de
façon sereine et épanouie avec leur bébé à venir.»
Choix de l’IVG
«La plénitude de la grossesse,
je ne l’ai pas connue. J’ai tellement perdu de kilos qu’on ne voyait même pas
que j’étais enceinte. Je suis passée à côté de quelque chose», regrette Elsa.
«J’ai toujours voulu être
maman, j’avais idéalisé ma grossesse. Je suis tombée de très haut, c’était
tellement loin de ce que j’avais imaginé, atteste Aude, qui s’est toujours projetée avec quatre
enfants et qui a fait le choix, après son deuxième, de ne pas en avoir d’autres. Ça me brise le cœur, je suis
en plein travail de deuil, mais je ne peux pas revivre ces neuf mois d’enfer !
J’y repense souvent en regardant mes enfants, ça reste là, en toile de fond.»
Le
risque de récidive de l’hyperémèse pour une autre grossesse est de 80%. «Si j’avais eu cette maladie
pour ma première grossesse, je n’aurai jamais eu d’autres enfants, affirme
Audrey Texier. J’ai perdu ma dignité, je me
revois aller à quatre pattes aux toilettes, ne pas réussir à me laver ni le
corps ni les dents, ne plus supporter l’odeur de mes enfants et de mon mari !»
Dans
certains cas, l’hyperémèse mène à l’avortement. Aux États-Unis, 15,2% des
femmes touchées ont recours à l’IVG,
soit dix fois plus que la moyenne nationale. Il n’existe pas de données pour la
France, mais Philippe Deruelle estime que ce taux pourrait atteindre 20%.
«Si on
m’avait crue, écoutée, j’aurais aujourd’hui mon bébé avec moi.»
Sabrina*
Sabrina* a fait ce
choix en 2018, alors même que sa grossesse était profondément désirée : «J’ai été hospitalisée
plusieurs fois et à aucun moment diagnostiquée. J’ai vomi devant de nombreux
soignants, je n’arrivais plus à parler, j’étais dans un état pitoyable, les
cheveux gras, l’haleine fétide, le jogging parfois maculé de vomi et pourtant,
je n’ai pas été entendue, comprise, sauf par quelques professionnels, mais qui
n’étaient pas décisionnaires.»
«À près de trois mois de
grossesse, après plusieurs semaines d’hospitalisation, on m’a transférée en
hôpital psychiatrique, dans une unité pour mamans souffrant de dépression
post-partum, poursuit-elle.
J’ai demandé à sortir et après
d’innombrables tergiversations avec moi-même, j’ai finalement avorté à treize
semaines d’aménorrhée, quasi à la limite autorisée. Un choix qu’un
an et demi après je regrette. Si on m’avait crue, écoutée, j’aurais aujourd’hui
mon bébé avec moi. Mais je suis désormais plus forte et si je parviens de
nouveau à être enceinte, je ne me laisserai plus faire et j’exigerai une prise
en charge réelle ! »
* Le prénom a été changé.
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