Le 17 mai 2019, la
cour d’assises de Montauban rendait son verdict dans le procès en appel d’Edith
Scaravetti.
Lundi
13 mai 2019, 14 heures. Le président de la cour d’assises de Montauban, Alain
Gaudino, déclare l’audience ouverte.
Experts et enquêteurs, avocats des
parties civiles, avocats de la défense, avocat général, les protagonistes du
procès en première instance d’Edith Scaravetti sont revenus pour l’appel. Tous
ont connu la pesanteur du premier procès à Toulouse ; les visages semblent
pourtant plus graves et les robes noires plus lourdes encore que l’an passé.
«Je ne le supporte plus»
Pendant la lecture de l’arrêt de
renvoi, Martine, la mère de Laurent Baca, bascule la tête vers le plafond et le
fixe, comme pour empêcher les larmes de tomber. La gravité et le chagrin
l’emportent : il y a des choses que même le temps ne saurait réparer.
L’enjeu de ce second procès n’est pas
nécessairement de renvoyer l’accusée en prison mais, peut-être, de requalifier
les faits : le coup de feu à l’origine de la mort de Laurent Baca est-il un
accident (un homicide involontaire, comme l’a déclaré la cour d’assises de
Toulouse) ou bien constitue-t-il un meurtre (un homicide volontaire) ? En
d’autres termes, Edith Scaravetti a-t-elle voulu, dans la nuit du 5 au 6 août
2014, tuer le père de ses trois enfants, Laurent Baca ?
La
composition de la cour, elle, a changé. Les personnes composant le jury, tirées
au sort sur les listes électorales de leur région, sont différentes. Le
président, surtout, est différent.
Et
quand le chef d’orchestre change, toute la musique change.
Dès
le départ, les questions posées aux enquêteurs venus témoigné à la barre
donnent le ton. L’aveu d’Edith, lors de la perquisition en novembre 2014, n’est
plus : «Je suis un monstre, j’ai
retourné l’arme contre lui !» Il devient : «Je suis un monstre, je l’ai
tué !»
Face
à la cour d’assises du Tarn-et-Garonne, des phrases omises en première instance
émergent.
«Elle mettait
toujours en avant ne pas vouloir perdre ses enfants et que cela risquait de
finir mal.»
Une
officier de police judiciaire
Plongée
dans ses notes, la commandante de police détaille : «Début juillet 2014, Edith
Scaravetti dit à son père et à sa mère que c’est fini avec Laurent. Elle dit
même : “Je ne le supporte plus.”»
«À des proches, Edith Scaravetti fait
part de son dégoût pour [Laurent
Baca], dit ne plus l’aimer, raconte une
officier de police judiciaire. Elle trouvait déplaisant qu’il
veuille sans cesse recoller les morceaux.» «Elle mettait toujours en avant
ne pas vouloir perdre ses enfants, qu’ils soient placés, etc. et que cela
risquait de finir mal, poursuit-elle, avant d’ajouter : On voyait le futur obscur.»
L’experte
psychologue, qui a rencontré à deux reprises Edith Scaravetti au département
des femmes de la maison d’arrêt de Seysses, commence son exposé : «Elle reconnaît le meurtre de
Laurent Baca.» Le président, ancien juge d’instruction, la questionne
: «Elle reconnaît avoir donné la
mort volontairement?» La psychologue n’est pas juriste, elle
bafouille : «Non, elle me décrit les faits…
Elle ne reconnaît pas l’homicide volontaire.»
L’avocate
des enfants, Me Chmani, rebondit
sur une autre phrase consignée dans le rapport de l’experte et citée à la barre
: «Les enfants sont au courant
que Maman a tué Papa parce que ce n’était qu’un méchant.» «Vous confirmez
qu’elle vous a dit ça?», demande-t-elle à l’experte. La psychologue
acquiesce.
À
la libération de leur mère, fin mars 2018, les enfants étaient si contents. «Allumés», précise Me Chmani. La cour de Toulouse
avait conclu à un accident, cela les avait rassurés. Ils s’étaient tenu loin
des émissions télé et d’internet, et n’étaient pas en âge de consulter le
dossier.
«Cela n’existe pas»
Lors
du premier procès à Toulouse, les photos de la reconstitution avaient été
projetées sur grand écran. On y voyait un policier de la taille et de la
corpulence de Laurent Baca, figé dans l’attente des instructions, rejouant les
faits de la nuit du 5 au 6 août 2014 tels que décrits par Edith Scaravetti: le
réveil brutal, le corps tiré hors du lit, la carabine cachée au-dessus de
l’armoire, la chute dans l’escalier, les claques et les coups assénés au
rez-de-chaussée, le coup de feu qui part.
Et
puis les écrans étaient devenus noirs au moment où elle posait sur le corps de
Laurent Baca une couverture orange. À quoi bon ? Tout ce qui s’est passé
ensuite, Edith Scaravetti n’en garde que peu de souvenirs. Des «flashs», surtout.
Elle sait qu’elle l’a fait, elle avoue qu’elle l’a fait, mais elle ne se voit
plus le faire. Pour la docteure psychiatre mandatée par la chambre
d’instruction, la couverture relève du «déni». Devant la
cour de Montauban, elle résume : «Cela n’existe pas.»
À
l’instar des violences conjugales passées sous silence, Edith Scaravetti a tu
la mort de Laurent Baca pendant trois mois et demi, jusqu’à l’arrivée de la
brigade criminelle venue perquisitionner le domicile.
Laurent
disparu, sa famille a tenté de retrouver sa piste des semaines durant. À la
barre, son petit frère rapporte ces nuits à tourner en moto dans le quartier, à
arpenter les cours d’eau pour voir s’il n’y voyait pas un corps flotter. «C’est la chose la plus dure à
dire à votre mère, quant au fond de vous, vous sentez qu’on ne le retrouvera
pas, murmure-t-il aux juré (es). Quand
vous apprenez la vérité, ça vous vide.»
La
famille Baca n’a jamais pardonné ce mensonge. Jennifer, la sœur de Laurent, l’a
toujours clamé : s’ils s’étaient disputés, qu’un coup était parti et qu’Edith
avait appelé de suite les secours, «elle mangerait encore à notre
table».
«Les enfants
ne se contenteront pas de “Je ne sais pas”, “Je ne sais plus”.»
Me Chmani, avocate des enfants du couple
Scaravetti-Baca
Face
au tribunal qui lui demande pourquoi taire un accident, Edith Scaravetti répète
: «Si on ne le dit pas, ça
n’existe pas.» Elle pensait vraiment qu’il allait revenir.
Il
s’est pourtant passé autre chose, après la couverture orange. C’est peut-être
trop dur à raconter.
Me Chmani s’emporte : «Les enfants ne se contenteront
pas de “Je ne sais pas”, “Je ne sais plus”, “Je ne peux vous expliquer ce que
je ne comprends pas moi-même”.»
Finalement,
le président Alain Gaudino poursuit là où le premier procès s’est arrêté. Que
s’est-il passé ensuite ? Il relève un détail sur les photos de la
reconstitution : la façon dont Edith pose la couverture orange sur Laurent
Baca, jusqu’au sommet du crâne, «non comme on recouvre
quelqu’un qui dort, mais comme on recouvre un cadavre».
Il
demande à Edith pourquoi elle ne regarde pas les photos diffusées à la cour et
si elle pense toujours, en ce mois de mai 2019, que Laurent va revenir.
L’accusée répond que non. Elle a compris, en détention.
«Tout m’échappe»
Dans
son flot de «silences et profondes
respirations» émergent quelques petits mensonges et grandes
incohérences.
Edith
Scaravetti dit qu’à la fin de l’été 2014, les enfants allaient encore dans le
jardin. «Si j’avais eu conscience à ce
moment-là que leur père était là, je les aurais pris et…» Sa phrase
reste en suspens.
À
la barre, une voisine raconte qu’avant les faits, elle entendait souvent les
enfants jouer au ballon dehors : «À mon retour, fin août, aucun
bruit. Je me suis dit qu’ils avaient prolongé leurs vacances. Là où je me suis
posée des questions, c’est à la rentrée des classes. À la rentrée des classes,
toujours pas de jeu dans le jardin. J’ai trouvé ça très étrange.»
La
voisine a senti l’odeur de décomposition pendant plusieurs jours, vu les
mouches «grosses comme un pouce» –elle
qui est phobique des mouches, cela l’a marquée, elle a même pensé appeler la
mairie. Elle a bien vu Jennifer Baca frapper à toutes les portes à la recherche
de son frère, mais elle n’a pas fait le lien. L’odeur avait disparu.
Edith
Scaravetti dit qu’elle a aperçu un morceau de la couverture orange dépasser de
la terre, qu’elle a pris peur. Laurent revenait. Alors elle a déterré le corps
pour le monter au grenier et le couler sous du béton.
Le
président lui demande :
–
Est-ce que vous souffrez d’anosmie ?
– Non, répond aussitôt Edith.
– Donc vous percevez les odeurs.
«Elle lui
aurait fait vivre une fois mort ce qu’il lui avait promis de son vivant.»
Un officier de police judiciaire
Et
si Edith avait déplacé le corps de Laurent Baca parce qu’elle avait compris que
l’odeur pouvait alerter ?
–
Vous ne cherchez pas à contrôler la
situation?, l’interroge l’un des avocats de la partie civile.
– Non, tout m’échappe, rétorque Edith.
Une
phrase prononcée lors de sa garde à vue est mentionnée : «Je lui ai fait ce qu’il a
voulu me faire.» «Elle lui aurait fait vivre une
fois mort ce qu’il lui avait promis de son vivant», expose
l’officier de police judiciaire.
Une
nuit, Laurent Baca l’avait jetée en petite tenue dans le jardin. Il neigeait.
Il l’avait tirée sous le banc de la pergola, «parce que les chiens, ça se
met pas sur les bancs, ça se met dessous».
Un
jour, le couple s’était disputé dans le grenier. Il l’avait poussée entre deux
piliers et avait commencé à lui verser du béton dessus. Il lui avait promis
qu’elle finirait là.
«Je pensais que c’était Edith
qui aurait été victime de Laurent», confie
une témoin auditionnée par les enquêteurs.
À
l’accusée, debout dans le box, le président Alain Gaudino signale : «Vous seriez passée de
l’accident à un processus de vengeance? Ce n’est pas très cohérent.»
«Qu’est-ce qui vous anime?»
Sous
la couverture orange, les secrets se transforment en abomination.
Il
y a d’abord une question, rarement posée aux médecins légistes. Le président
veut savoir : «Comment vous faites, quand
vous pratiquez une autopsie?»
«C’est extrêmement pénible, admet le légiste. Parfois, les enquêteurs portent
des masques. Mais l’intérêt médico-légal l’emporte.» «Si quelqu’un qui ne travaille pas là entrait, ajoute-t-il,
il serait arrêté par l’odeur.»
Pour
faire réagir l’accusée, combler ses silences ou chercher une vérité qui peine à
poindre, le président pose des questions abruptes. Par les mots, il traduit la
violence dont Edith Scaravetti s’est rendue coupable : «Ce corps en putréfaction,
parsemé de mouches, ce corps rongé par les vers, avec une odeur pestilentielle,
les écoulements ! Un corps qui a séjourné vingt-cinq jours sous trente centimètres
de terre en plein mois d’août», comment a-t-elle réussi à le
déterrer et le tirer, seule, dans l’escalier escamotable menant au grenier par
une petite trappe ? Comment ne pouvait-il y avoir que de la terre dans la
maison ?
Le
président ressort un élément livré par Edith Scaravetti aux enquêteurs –un
détail terrible montrant qu’Edith se souvient avoir vu ce corps en
décomposition– puis résume : «C’est vrai que ça paraît
compliqué de ne pas avoir vu ce corps.»
Me Tugas, avocat de la partie
civile, regarde Edith une dernière fois : «Vous aviez une vraie volonté,
à ce moment-là. Qu’est-ce qui vous anime ? Ce n’est pas de l’amour…»
Edith
Scaravetti fixe à nouveau le sol : «Tout se mélange. C’est un
mélange de beaucoup de choses. J’arrive pas à voir toutes les images, toutes
les étapes. Je me suis bloquée tout ça et je n’arrive pas à m’en sortir.»
Le
président lit l’audition d’une témoin rapportant les propos d’Edith avant les
faits : «Je n’ai plus aucun sentiment
envers Laurent, si ce n’est du dégoût.» L’accusée ne se souvient
plus d’avoir prononcé ça, mais peut-être, si la témoin le dit. Le magistrat
insiste. Alors Edith lâche : «Oui, j’étais fatiguée de la
situation. J’en avais marre.»
Il
y a aussi cette carabine difficile à tenir droite contre la tempe pour une
personne en position couchée, le doigt sur la détente, la douille qui a
disparu, les enfants qui ont le sommeil léger, ce sommeil des enfants angoissés
par les disputes de leurs parents, qui n’ont pourtant rien entendu cette
nuit-là –ni les coups, ni les claques, ni le coup de feu.
«Je ne
comprends pas pourquoi on ne parle pas de sa souffrance à lui.»
Edith
Scaravetti
«Je ne suis pas complètement
parfaite et pas complètement manipulatrice», promettait Edith lors de son premier procès.
Si
pendant trois mois et demi elle a livré aux enquêteurs et à ses proches
différentes versions quant à la disparition de Laurent Baca, une fois le corps
découvert, le reste le fut aussi: la brutalité, les bleus partout, les paroles
blessantes, l’alcool mauvais, la fatigue qui colle à la peau; Edith qui, à 28
ans, a le sentiment «d’en avoir 40» et
le récit, inchangé depuis le premier jour, de cette nuit du 5 au 6 août 2014.
«C’était un homme en grande
souffrance, avançait-elle
à la cour de la Haute-Garonne, et je ne comprends pas pourquoi
on ne parle pas de sa souffrance à lui.»
«Il aurait pu mourir de n’importe quoi»
Avant
de rencontrer Edith, Laurent Baca a eu un fils, Gaétan*. La mère de l’enfant était
partie vivre dans une autre ville et Laurent ne le voyait pas souvent. Edith se
souvient de la soirée où elle a rencontré Laurent, de lui pleurant dans ses
bras parce que son fils lui manquait.
Dans
la petite salle d’audience de Montauban, une lettre est lue à voix haute. En
mai 2014, quelques mois avant sa mort, Laurent Baca écrit à Gaétan.
«Gaétan, Je t’écris cette petite lettre pour te souhaiter un joyeux anniversaire pour tes 14 ans. En espérant que tu as passé de bonnes fêtes 2013 et un bon début d’année 2014. Excuse-moi de ne pas t’avoir écrit dans ces moments-là. J’ai du mal à trouver les bons mots car ça me fait mal. […] Sache que tu me manques énormément, ainsi qu’à toute ta famille, tes grands-parents, tes oncles et ta tante, et encore plus à ton frère, tes sœurs et Edith. Dis-toi bien que la porte de la maison te sera toujours ouverte, que ce soit pour les bons et les mauvais moments. Que tu sois petit ou grand, mon amour ne changera pas, je serai toujours ton père et je t’aimerai toute la vie.
Me Nougier, l’avocat de Gaétan,
soupire : «Gaétan a aujourd’hui 19 ans,
et il va très mal. Il n’y a pas si longtemps, il a dit à sa mère qu’il voulait
rejoindre son père. “C’est un enfant éteint et triste”, dit son psychologue.
J’ai peur pour cet enfant devenu adulte qui ne travaille plus à l’école. Il
n’arrive pas à se recueillir sur la tombe de son père. Il n’arrive pas à
reprendre contact avec ses grands-parents qu’il adore, parce que tout le ramène
à ça.» L’avocat conclut : «La justice ne répare pas, mais
elle permet de donner des réponses.»
«Je me
poserai toujours la question de si mon fils a souffert longtemps ou s’il est
mort sur le coup.»
Martine,
la mère de Laurent Baca
Elle
ne savait pas si elle pourrait à nouveau témoigner pour ce procès. Finalement,
Martine, la mère de Laurent Baca, s’avance à la barre. Ses jambes ont du mal à
la porter, alors l’huissier d’audience lui apporte une chaise.
«Je me poserai toujours la
question de si mon fils a agonisé, s’il a souffert longtemps ou s’il est mort
sur le coup. C’est ma question depuis cinq ans. Laurent, il aurait pu mourir de
n’importe quoi, c’est vrai…»,
reconnaît-elle.
Elle marque une pause.
«Mais il me disait : “Tu sais, Maman,
quand je serai mort, je ne veux pas être mangé par les vers.”»
Sans
pouvoir faire autrement, elle éclate en sanglots : «Et en fin de compte, je
n’aurais pas pu accéder à sa dernière volonté.»
Martine
se lève, fébrile. Tout le monde observe sans bouger cette petite dame abîmée
par l’indicible s’accrocher à la barre pour regagner le banc des parties
civiles. Elle claudique en cherchant à se tenir où elle peut, comme quelqu’un
qui chercherait l’interrupteur dans le noir. Un bras vient à son secours pour
la retenir de tomber.
Elle
se hâte vers la sortie, mais la tristesse ralentit ses pas. Elle arrive enfin
dans le couloir, loin des regards du public. Personne ne pense à fermer la
porte. Et dans la stupeur de la cour d’assises, seuls résonnent les cris
déchirants de cette mère.
Le
17 mai 2019, vers 19 heures, Edith Scaravetti a été reconnue par la cour
d’assises du Tarn-et-Garonne coupable d’homicide volontaire et condamnée à une
peine de dix ans de réclusion criminelle. Elle est repartie le soir même en
prison. Dans l’attente d’une solution, les enfants ont dormi chez une amie.
Plus
tard, Élodie*, 14 ans, aimerait être psychologue. Franck*, 13 ans, aimerait
bien créer des jeux vidéo. Justine, elle, a 12 ans. Quand elle sera grande,
elle voudrait être policière.
* Les prénoms ont été changés.
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